Qui êtes-vous Fernande Ekouta ?
Irène Fernande EKOUTA, écrivaine camerounaise âgée de 32 ans et heureuse lauréate de la première édition de la résidence LAKALITA ouverte aux écrivaines africaines du continent africain et de la diaspora.
À quel moment pour vous l’écriture est-elle devenue une urgence, une passion ? Avez-vous toujours écrit ?
Ça l’a toujours été. Petite, j’étais timide. Apeurée. Je n’osais pas m’exprimer. Jusqu’à récemment, j’étais tétanisée à l’idée de prendre la parole ou d’affirmer mes opinions. Je me suis très vite réfugiée, dans l’écriture, persuadée de mieux dire les choses, de mieux concrétiser mon débat intérieur de cette manière. Je devais avoir 12 ans lorsque j’ai osé mon premier acte d’écriture. J’avais rédigé un poème dont je ne me souviens pas des vers. Cela étant, j’ai écrit mes émotions sur des bouts de papier, sur des pages de vieux cahiers, sans jamais me rêver écrivaine. J’ai toujours eu très peur de confier mes fragilités au regard d’autrui. Écrire a donc toujours été un rempart. Aujourd’hui, je réalise que tout ce cheminement inconscient n’était pas anodin.
3 De quelles manières la résidence Lakalita vous sera-t-elle utile pour atteindre vos objectifs ?
Virginia Woolf a signé un livre si bien intitulé « Une chambre à soi ». L’écrivaine y soutient qu’« il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction ». Pour moi, la chambre à soi va bien au-delà du premier degré. Elle renvoie au privilège de la solitude créative. Non pas que les autres soient un fardeau, mais il est parfois important de s’extraire des contraintes quotidiennes pour écouter ce qu’on a vraiment à se dire. J’écris une œuvre de fiction. Aussi, ai-je besoin d’être absente de la société pour la terminer. En cela, la résidence LAKALITA est une opportunité en or. À long terme, ça va être une grande aventure, notamment du point de vue de l’édition. J’ai vraiment hâte de voir de plus près, une dimension plus professionnelle du domaine avec la maison d’édition LAKALITA.
Le monde de l’écriture en Afrique reste encore à la portée d’une certaine élite (réseautage). Comment selon vous peut-on essayer de donner de l’importance au talent et encourager la jeunesse à s’épanouir en littérature ?
En tant que jeune auteure, je découvre encore le milieu, du coup mon observation peut être naïve. Mais, c’est vrai qu’il est difficile de savoir par où commencer lorsqu’on veut vraiment se consacrer à une carrière d’écrivain dans le contexte africain. On ne sait pas trop à qui s’en remettre parce qu’en général, l’entourage ne suit pas. Il faut souvent se faire sa propre idée du métier, de l’environnement, des possibilités, etc.
En cela, les opportunités comme la résidence LAKALITA sont vraiment à saluer. Il n’y a pas mieux pour donner confiance aux jeunes écrivains. es et les encourager à poursuivre leurs efforts afin de poser des mots vrais sur l’humain, sur la société.
On pourrait également multiplier des rencontres professionnelles, des Masterclass d’écriture avec des écrivains. es confirmés. es comme celle de Suza (Cameroun) l’année dernière, animée par Hemley Boum, Gauz, Marc Alexandre Oho Bambe, Gaël Faye, Anne Sophie Stefanini, Rodney Saint-Eloi, entre autres. Discuter avec ces aînés. es donne de la force, de l’envie et une bien meilleure compréhension du métier.
Il est, par ailleurs, crucial de créer un environnement économique viable autour du livre. À ce niveau, une multitude de paramètres entre en jeu…
Vous êtes écrivaine et vous êtes la lauréate de la résidence littéraire Lakalita 2022. Est-ce qu’il y a eu un événement ou une rencontre avec un style particulier qui a été plus marquant dans votre parcours ?
De nombreuses rencontres ont inspiré mes textes, d’abord à travers la lecture. Je suis ébranlée pour la première fois en lisant « Black boy » de Richard Wright. J’ai à peine 10 ans à l’époque (si mes souvenirs sont bons). Cette rencontre est, je crois, ce qui a vraiment révélé la littérature à mon esprit. Je ne comprenais pas tout ce qui était écrit dans ce livre. Mais, j’avais des émotions. Je m’indignais. Je pleurais en le lisant. Oui, ça marque forcément. Il en est de ce livre comme de bien d’autres. Quel régal de lire Fatou Diome ! Hemley Boum ! Mariama Bâ ! Camus ! Dicker ! Et plein d’autres… On ne sort jamais indemne d’un livre qu’on aime.
De nombreux événements ont également marqué ma jeune vie d’auteure. L’un d’eux a d’ailleurs fait l’objet de mon dernier ouvrage intitulé « Mes confessions anonymes ». En fait, quand on est écrivain. e, tout nous marque. Tout est sujet au questionnement. On s’interroge en permanence sur le sens des choses ou leur non-sens.
Trouver son identité d’écrivaine, c’est quelque chose qui demande beaucoup de temps, de rigueur, de recherche et d’introspection. Quel est votre processus de création.
Je continue de le chercher (rire). C’est bizarre, mais je n’ai vraiment pas de routine ou de chemin tout tracé. Pas d’heures auxquelles j’écris le mieux. Certaines choses arrivent comme des évidences (je les note à toute vitesse) et d’autres non. Ma seule logique est que plus je travaille, plus j’ai envie de travailler. Il peut arriver de n’avoir ni l’inspiration ni la motivation d’écrire. Il peut arriver que d’autres occupations me privent de mon intimité avec le texte. Puis, je m’en éloigne. Les jours, les semaines, les mois passent et je n’écris rien. Après, c’est tellement plus dur de retrouver l’énergie du texte. Dans ces moments-là, je crains mes personnages. Peur qu’ils ne me reconnaissent pas. Peur qu’ils ne se laissent pas faire après cet abandon. Je laisse traîner les retrouvailles… Mais, avant de reprendre l’écriture, je parle à mes personnages. C’est fou, mais c’est vrai. Dans tous les cas, je garde une certaine obsession pour les détails et l’exigence d’authenticité. Je suis de ceux qui pensent que, bien souvent, la réalité dépasse de loin la fiction. Je n’essaie pas d’écrire comme untel ou unetelle. Ce qui importe, c’est la vérité de chaque émotion. J’accepte mes limites pour mieux les dépasser.
À quoi ressemble votre première œuvre littéraire ?
C’est une nouvelle intitulée « D’amour et de glace ». Je l’ai écrite pour participer au Prix Jeune écrivain de langue française 2017, et elle est arrivée demi-finaliste. En gros, la nouvelle est un déroulé de soliloques entre une mère, sa fille (une adolescente) et un troisième personnage qui intervient en fin de récit. La fille est en colère contre sa mère, car privée de père. La tension crée de la distance. Finalement, les deux ne savent pas s’aimer autrement que par le silence, la froideur, la glace.
L’élément clé de la nouvelle c’est qu’il n’y a dans le texte, aucun marqueur identitaire ou spatio-temporel. L’histoire se raconte par les intériorités des personnages et l’intimité de leurs émotions.
Est-ce que l’encadrement des futurs écrivains à travers des ateliers littéraires fait partie de vos plans ?
Absolument !
Avez-vous des projets ou d’autres objectifs que vous aimeriez atteindre ?
Bien sûr ! Mon plus grand souhait est de toucher les gens à travers le monde entier. J’aimerais être lue partout, dans plusieurs langues, par des personnes d’origines diverses. Mais avant, il faut travailler dur. Continuer d’apprendre, de mûrir des idées, d’écrire, encore et encore. Trouver le bon rythme, le bon équilibre pour garder le feu, maitriser le torrent, publier des livres qui provoquent des mouvements dans l’âme des lecteurs.
Un mot pour la femme écrivaine et artiste en ce mois de la femme…
Ce qui compte n’est pas la place qu’on vous donne ou l’histoire qu’on vous invente. C’est celle que vous prenez et assumez avec dignité. Donc, toutes les fois que quelqu’un voudra vous faire douter de vos capacités, briser votre enthousiasme ou nuire à vos ambitions, souvenez-vous que nous portons tous le pantalon de la même manière, c’est-à-dire, un pied avant l’autre.
Propos recueillis par Pénélope Mavoungou
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